DANS CE COURS

  1. Le journalisme de solutions, un journalisme “à spectre large”

  2. Où et comment est apparu ce concept ?

  3. Journalisme de solutions, constructif, d’impact : les différentes définitions

  4. Les critiques du journalisme de solutions

  5. Être utile à la société, sur le plan structurel

    + L’interview : Mark Rice-Oxley, Guardian executive editor

1. Le journalisme de solutions, un journalisme “à spectre large”

Le journalisme est un ensemble de pratiques professionnelles qui reposent sur des philosophies bien différentes. La recherche de la vérité fondée sur des faits est commune à toutes les conceptions du métier, dans le but notamment d’éclairer le vote citoyen et la participation à la société civile dans son ensemble. C’est un des points clés de la charte de Munich qui fixe entre autres les règles déontologiques de la profession depuis 1971. Mais en dehors de ce texte, il n’y a pas vraiment de consensus écrit noir sur blanc concernant le rôle et le cadre du journalisme. 

Pour certains, les journalistes doivent tendre vers l’objectivité maximale, quand d’autres se contentent de réclamer la plus grande neutralité dans le traitement de l’information. Pour d’autres au contraire, le journalisme est indissociable des sensibilités politiques présentes dans la société et prétendre s’en détacher est une vue de l’esprit. Pour ceux-là, les journalistes doivent surtout faire preuve d’honnêteté intellectuelle en présentant une vision complète de l’information, ce qui n’exclut dès lors pas les partis pris. Ils doivent tendre vers l’impartialité autant que possible, à la manière du juge qui instruit un dossier à charge et à décharge.

Le journalisme de solutions (parfois appelé journalisme constructif ou d‘impact) s’inscrit dans cette vision : refléter la réalité dans toute sa complexité.

Ce journalisme ne se contente pas de relayer les dysfonctionnements de notre époque. Il s’évertue aussi à explorer les éléments de réponses et les solutions à ces problèmes, lesquels peuvent émaner de citoyens, associations, entreprises, collectivités publiques, etc. Ceci afin de proposer au public une information plus complète, “à spectre large” comme la définit Serge Michel, ancien directeur de la rédaction du journal Le Monde (France) et cofondateur de Heidi.news (Suisse).

2. Où et comment est apparu ce concept ?    

La notion de journalisme de solutions apparaît dans les années 1990 - même si on peut voir dans le journalisme “de paix”, le journalisme public et le journalisme militant émergeant dans les années 60 des ancêtres du genre. Un événement fait date du côté de nos voisins anglo-saxons : en 1993, le journaliste-présentateur de la BBC, Martyn Lewis (Royaume-Uni), s'offusque publiquement de l’abondance de mauvaises nouvelles dans les médias. “Parce que je couvre les guerres, la destruction de civilisations, parce que j’ai vu la destruction de pays et de peuples, je sais que le défi est de rebâtir. À chacun de mes retours du théâtre des opérations, on me renvoie sur le terrain d’une autre guerre. Jamais on ne m’a demandé d’aller observer la reconstruction d’un pays.”  

La chaîne britannique menace de congédier Lewis à la suite de ses propos, mais son analyse rencontre un écho favorable dans les rédactions du monde entier et il est par la suite invité dans de nombreuses universités aux États-Unis pour exposer ses idées.

Mais c’est vraiment la journaliste américaine Susan Benesch, qui formule cette notion pour la première fois en 1998, dans son article The rise of solutions journalism. Elle constate alors que des journalistes semblent s’être donné le mot pour parler davantage de solutions - que ce soit dans The Nation, Yes Magazine, ou US News & World Report qui clamait alors être la première revue à proposer des solutions aux problèmes du monde.

En France, le journalisme de solutions se structure dès 2004 avec la création de Reporters d’Espoirs, première association à encourager les médias dans cette voie. L’une de ses réalisations fera date : le Libé des solutions, créé en 2007 avec Libération et son  rédacteur en chef Didier Pourquery. Il s’agit alors de répondre à la demande de lecteurs qui reprochent au quotidien d’être trop négatif et de ne jamais mettre en avant de solutions. Malgré un accueil initial plutôt froid de la part de l’équipe éditoriale, le premier Libé des solutions se hisse dans le Top 3 des meilleures ventes de l’année. 

Le journalisme de solutions apparaît la même année au Danemark. En décembre 2007, Lisbeth Knudsen, rédactrice en chef de la plus importante entreprise médiatique danoise, Berlingske Media, écrit un éditorial pour encourager les médias à être plus constructifs et de ne plus traiter l’information uniquement sous un prisme négatif. Plusieurs médias sont sensibles à ses propos et commencent alors à diffuser des informations plus constructives. 

3. Journalisme de solutions, constructif, d’impact : les différentes définitions

Journalisme de solutions, constructif, de paix ou encore d’impact… Différents concepts et pratiques ont émergé à travers le monde et avec eux, autant de définitions. Karen McIntyre (États-Unis) et Cathrine Gyldensted (Danemark) les ont définis et hiérarchisés dans l’article Constructive Journalism: Applying Positive Psychology. Les deux chercheuses conçoivent le journalisme constructif comme englobant l’ensemble des autres notions. Le journalisme de solutions en est un cas particulier : il se concentre sur l’aspect concret des réponses apportées aux problèmes, tout en exerçant un regard critique sur ces mêmes réponses. Il tâche de répondre à la question “et maintenant ?” : que se passe-t-il une fois un dysfonctionnement ou problème analysé ? Des personnes ou organisations agissent-elles, entreprennent-elles des initiatives pour tâcher de contribuer à sa résolution, dans quelle mesure, et avec quel impact ?

Dans la pratique, ces différences n’ont pas une telle importance et un terme générique est souvent utilisé pour désigner tous ces types de journalisme. En France, on parle souvent de journalisme de solutions alors qu’au Danemark la notion de journalisme constructif lui est préférée - bien qu’en substance, nous pensons à chaque fois à la même chose. 

Le journalisme de solutions, la définition de Reporters d’Espoirs

On l’a compris, malgré des tentatives de classification de ces différents types de journalisme, il est difficile d’obtenir une définition universelle et précise du journalisme de solutions tellement il en existe. Néanmoins, Reporters d’Espoirs propose une définition qui englobe ces différences :

 “Le journalisme de solutions s’emploie à analyser et à diffuser la connaissance d’initiatives qui apportent des réponses concrètes, reproductibles, à des problèmes de société, économiques, sociaux, écologiques, qu’elles soient menées par des individus, collectifs, entreprises, collectivités, associations, acteurs publics ou privés.”

Le “journalisme de solutions” est d’abord une méthode qui s’intéresse avant tout aux réponses concrètes et concluantes avec recul, esprit critique et sans idéologie particulière - voir la méthodologie plus détaillée en chapitre B partie 1.      

            

4. Les critiques du journalisme de solutions 

Si le journalisme de solutions rencontre un engouement certain dans certaines rédactions, il n’est pas pour autant accueilli à bras ouvert partout, et il nous semble nécessaire ici de répertorier les critiques à son égard :

  • Il propose une vision déformée, angélique de la réalité.

  • Il fait la promotion d’une institution ou peut participer au socialwashing de certaines entreprises.

  • Il se rapproche du militantisme (contre la fameuse neutralité).

  • C’est une instrumentalisation des journalistes à des fins marketing ou politiques. 

  • Ce n’est pas la priorité, il y à déjà tant de scandales à dénoncer !

Si ces critiques sont parfois fondées, elles dénoncent surtout les mauvaises pratiques du journalisme en général, et de solutions en particulier. La méthodologie rigoureuse proposée en partie B permet d’éviter de tomber dans ces travers. Ainsi le journalisme de solutions :

  • Propose une vision plus complète de la réalité (le problème et une des réponses possibles).

  • Met en avant les limites de l’initiative mise en avant. C’est avant tout une analyse critique d’une solution parmi d’autres.  

  • Permet d’attirer audience et abonnement en proposant un contenu distinctif et de qualité.

  • Expose un problème sans le nier avant d’aller plus loin encore en explorant une réponse possible afin d’inspirer et d’inciter à l’action tous les citoyens, la société civile et les pouvoirs publics.

Voici des exemples de bons et mauvais reportages que nous allons décortiquer ensemble :

L’Allemagne expérimente un billet de train mensuel à 9 euros pour tous, dans Usbek & Rica. Cet article n’est pas parfait, mais est tout de même un bon exemple. Pour les besoins de l’exercice, nous l’avons sélectionné notamment pour son format court, qui permet une analyse (à ce stade) concise et claire. L’article met en avant les problèmes à laquelle répond l’expérimentation du billet unique à 9 € : la dépendance énergétique allemande à la Russie et la transition énergétique. Il en expose aussi rapidement les limites et risques : surfréquentation des trains, fermeture des gares, gouffre financier profitant surtout au tourisme. Ainsi, il propose surtout une analyse critique d’une solution et n’en fait jamais la promotion. Il permet néanmoins d’inspirer et de mettre en avant ce qu’un de nos voisins européens a expérimenté. L’article mériterait d’être plus développé et d’être republié dans quelques mois, avec des chiffres d’impact concrets.

La Poly Glu : un remède miracle pour l’accès à l’eau potable, dans Le Média Positif est beaucoup trop élogieux pour être considéré comme un bon article de solutions, et ceci se voit dès le titre : “La PolyGlu, un remède miracle pour l’accès à l’eau potable !”. Si les problèmes à laquelle répond cette initiative sont relativement bien définis et s'appuient sur des chiffres sérieux, le regard critique propre au journaliste est malheureusement totalement absent. Les limites de la solution ne sont pas présentées, les termes sont trop élogieux (“miracle”, “bienfaits ne s’arrêtent pas là !", etc.) et l’impact positif décrit manque soit de recul, soit d’analyse des outils de mesure.

Upworthy, média américain concentré à la base sur des informations positives, est devenu par la suite un cas d’école de site racoleur pensé pour les réseaux sociaux et l’engagement du public.

Les nouvelles “inspirantes” invitent parfois à ignorer les drames qui les provoquent.

5. Être utile à la société, sur le plan structurel

Dans un article rédigé en 2020, Aaron Clark-Ginsberg et Shearon Roberts mettent en lumière ce qu’ils considèrent comme de graves manquements à la façon dont certains journalistes couvrent les situations d’urgence ou les catastrophes climatiques. 

Selon eux, ces journalistes favorisent et façonnent une certaine vision du monde, de notre société, de nos capacités à survivre et à nous entraider. Ceci, en ignorant le contexte préexistant aux événements, en répétant certaines idées reçues et en représentant de façon tronquée les populations affectées. A titre d’exemple, les deux auteurs expliquent que “les images de tempêtes ne contextualisent pas le fait que les quartiers plus précaires ou habités par des minorités sont souvent plus exposés et vulnérables aux vents violents et aux dégâts des eaux, du fait du manque de ressources ou d’une négligence historique et permanente.”

L’article de Clark-Ginsberg et Roberts n’est pas directement lié au journalisme de solutions. Néanmoins, ce dernier pourrait permettre de lutter contre ces mauvaises représentations, en favorisant une pratique journalistique moins sensationnaliste, plus réfléchie, attentive au contexte et à l’action humaine. 

Comme l’avançait Julia Power Burns en 2013, le journalisme de solutions n’est peut-être pas un genre approprié pour traiter les grands événements politiques ou les attaques terroristes. Mais “plus nous nous concentrons collectivement sur comment faire rejaillir la vérité, étendre notre compassion et rechercher des solutions crédibles à des problèmes urgents, plus nos sociétés fonctionnent à leur plein potentiel.” 


L’interview : Mark Rice-Oxley, Guardian executive editor


Points clés

  • Le journalisme de solutions est un journalisme à spectre large, il propose de montrer la réalité dans sa complexité. Il expose des problèmes et met en avant une des réponses possibles tout en ayant un regard critique sur cette dernière. 

  • Le journalisme de solutions est une pratique relativement récente, née et conceptualisée dans les années 1990. Il apparaît en France en 2004 avec Reporters d’Espoirs.

  • Sa définition n’est pas figée, et on peut parler selon les pays de journalisme constructif, de solutions, etc. En France, nous parlons principalement de journalisme de solutions, alors que les Danois évoquent plus facilement le journalisme constructif. 

  • Les critiques du journalisme de solutions sont nombreuses mais s’appliquent surtout à un mauvais traitement de l’information. Elles dénoncent une possible édulcoration de la réalité, une trop grande proximité avec les institutions et les entreprises, une absence de neutralité ou l’éventuelle instrumentalisation des journalistes.


Références

  • Gilles Vanderpooten, 2020, Imaginer le monde de demain, Actes Sud.